Lucile Sauzet, le design au corps 

Il y a quelques mois, Lucile Sauzet a créé une potiche testiculaire. Un objet permettant de mieux comprendre la contraception masculine et de l’expliquer de manière pédagogique. 

Un assemblement de tissu violet, des bandes blanches, des sangles. Et derrière, Lucile Sauzet, une jeune femme à l’imagination débordante. En mai 2021, la designer a créé un postiche testiculaire. Objectif : “Donner à tous la possibilité d’expérimenter la contraception masculine thermique comme si c’était notre propre corps.” 

“Même si la contraception touche les testicules, la médiation ne doit pas s’adresser uniquement aux personnes qui en possèdent”, explique celle qui se passionne pour l’exploration des corps et de leur égalité dans les représentations dans la société. De ses rencontres sur ce thème est née l’idée du postiche

“Il y a des failles dans la représentation du corps” 

C’est de ce travail également que vient le nom de son studio, Flux Initiative, “inspiré du corps en mouvement, avec notamment mon projet Plume, un outil pour gérer son stress, via les bienfaits de la respiration. Dans ce genre de design, on conçoit les objets avec, plutôt que pour les gens. On prend en compte leur ressenti, là où par exemple les ingénieurs auraient utilisé du métal, que l’utilisateur va percevoir comme quelque chose de froid et qu’il faudra changer.” 

Grâce à du coton, des sphères de hêtre et de la viscose, celle qui est diplômée de l’ENSCI a conçu un outil de médiation, mais également de réappropriation du corps. “Il y a pas mal de failles dans le système médical, pas seulement sur le corps des femmes d’ailleurs”, fait remarquer la jeune maman. « Lorsque j’ai accouché, j’avais déjà un peu peur. Alors quand en plus on t’explique avant comment ça va se passer et qu’on te montre une coupe d’utérus, ça ne rassure pas.” Des lacunes dans les outils de médiation médicale qu’elle entend bien corriger dans de futurs projets. 

“Il y a une méconnaissance de son corps et de ce qu’il est capable de faire »

Actuellement dans l’univers du design mais avec des études réalisées du côté scientifique, la touche-à-tout inclut dans ses réalisations une dose de sa sensibilité naturelle. “Quand je travaille, j’utilise des données dites “sensibles”, dans le sens où je prends en compte la perception des utilisateurs, comment ils reçoivent le produit.” Un savant mélange, qui donne des créations originales et décalées. Son postiche et sa forme atypique ne manquent pas de faire réagir. “Il y a toujours un moment où les gens qui l’enfilent sourient, rigolent, sont un peu gênés. Mais cela permet de dédramatiser et d’ouvrir la discussion.” 

Lors des réunions de démonstration, Lucile Sauzet a pu noter les réactions des utilisateurs. ”Il y a souvent de l’incompréhension sur la remontée testiculaire. Où vont les testicules ? Est-ce que c’est vraiment possible de faire ça ? Au final, il y a une méconnaissance de son corps et de ce qu’il est capable de faire qui est vraiment dommage”, regrette-t-elle.

(In)former grâce aux objets 

 Auparavant, Lucile Sauzet l’avoue, elle ne connaissait “pas grand-chose” à la contraception thermique. Il faut dire qu’ayant suivi une formation de designer, le sujet ne lui était pas forcément prédestiné. Curieuse et toujours ouverte à la discussion, c’est lors d’une rencontre qu’elle en apprend davantage. “En échangeant avec Pau Simon (danseur.euse à l’origine de la pièce “La Grande Remontée”, abordant de manière artistique la contraception masculine, NDLR.), sur le rapport au corps, elle m’a présenté à Maxime Labrit, le créateur de l’Androswitch.” Très vite, le principe la séduit. “Il y avait cette idée de reprendre le pouvoir de son corps grâce à la contraception qui me plaisait beaucoup”, explique-t-elle, attachée à une notion de réappropriation du corps qui lui est chère et sur lequel elle a longuement travaillé. 

“Pourquoi les hommes n’ont pas autant de choix de contraception ?” 

Le petit groupe se lie vite autour de projets communs. “On a organisé des sortes de réunions tupperware où on pouvait toucher de manière collective et individuelle un groupe de personnes déjà sensibilisées sur la contraception masculine.” Un constat se dresse alors : élargir le cercle. Grâce à ses compétences en design, Lucile Sauzet entre en scène. D’autant que le sujet la touche désormais à titre personnel. “Je trouve ça tellement important. Pourquoi en termes de contraception les hommes n’ont pas autant de choix et pourquoi on ne leur présente pas ?”, s’interroge-t-elle. “Aux premières réunions, c’est Maxime qui présentait l’anneau directement sur lui. Ou alors avec des vidéos, mais cela incluait toujours une vision de sexe masculin. Alors évidemment c’était toujours avec consentement, mais cela était quand même un gros frein.” 

“J’essaie de faire évoluer ces clichés” 

Créative, elle se sert de ses 10 doigts pour agir à son échelle. En auto-édition, elle a déjà produit une série de 45 postiches testiculaires, presque intégralement vendue. “Il s’adresse principalement aux plannings familiaux, aux médecins, aux sexologues. Le but est ici plus pédagogique que commercial.” Lucile Sauzet étant sensible aux questions de genre, le postiche se veut un outil inclusif. “Il peut être porté par n’importe qui, pas seulement aux personnes qui ont des testicules.” 

Dévouée, la designer, qui ne se qualifie pas de militante, est tout de même aujourd’hui impliquée. “J’en parle toujours autour de moi« , poursuit celle qui participait quelques jours auparavant à un festival sur le sujet, à Pantin. “Je remarque que les jeunes sont de plus en plus au courant. » Avec un long travail dans le médico-social, l’aventure paraissait presque logique. 

“L’idée était de me mettre au service de ce sujet. Les acteurs de ce secteur ont souvent plein d’idées, mais ne savent pas forcément comment créer des objets.” Son œil vigilant veille à ne pas reproduire les clichés. “Une fois, à l’hôpital, j’ai réalisé un travail collectif avec les infirmiers et infirmières. Instinctivement, ils ont choisi la couleur rose pour les femmes et bleu pour les hommes. J’essaie de faire évoluer ces clichés.”

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